La longueur d'onde d'émission souhaitée est comprise entre 1,5 et 1,55 µm. L'ion erbium inséré dans certaines matrices peut émettre dans cette bande spectrale. En effet l'ion erbium inséré dans une matrice de YAG présente une longueur d'onde d'émission vers 1,64 µm [13]. L'ion erbium inséré dans une matrice de vanadate d'ytrium (YVO4) ou d'orthosilicate d'ytrium (YSO) peut émettre dans la bande spectrale de sécurité oculaire mais avec des rendements de conversion en cavité laser assez médiocres [14][15]. Par contre l'ion erbium inséré dans une matrice vitreuse permet l'émission à la longueur d'onde souhaitée et l'obtention de rendements de conversion plus importants grâce au codopage possible de cette matrice avec l'ion ytterbium. Le fonctionnement du transfert d'énergie lié à ce codopage et son intérêt sont développés plus loin.
Nous avons donc choisi de réaliser un laser à partir d'une matrice vitreuse codopée avec des ions erbium et ytterbium.
L'objet de ce chapitre est de caractériser le matériau laser utilisé. L'étude expérimentale des spectres d'absorption et d'émission dans le proche infra-rouge ainsi que la mesure de durée de vie du niveau laser supérieur nous permettront ensuite de déterminer les paramètres nécessaires à la modélisation du laser.
Ces mesures sont effectuées sur un matériau fabriqué par la compagnie
Kigre Inc dont la référence est QX/Er et les dopages en ions ytterbium et erbium sont
respectivement : 2,3.1021 cm-3 et 2.1020 cm-3.
La particularité de ce groupe d'éléments est de posséder une couche électronique profonde incomplète correspondant aux électrons 4f.
Cette couche se trouve ainsi protégée des influences extérieures par les couches complètes 5s2 et 5p6. Il en résulte un ensemble de transitions permises se manifestant dans les spectres d'émission et d'absorption sous la forme de raies fines plus caractéristiques d'atomes ou d'ions en phase gazeuse que de matériaux solides (voir figure 2-2). Pour la même raison, le passage d'une matrice à une autre ainsi que la présence de défauts n'auront qu'une faible influence sur ces transitions.
Les transitions de l'ion Er3+ qui nous intéressent sont essentiellement : 4I15/2, 4I13/2 et 4I11/2. (Voir figure 2-3)
A partir du niveau fondamental 4I15/2, la transition vers le niveau 4I11/2 constitue une bande d'absorption située vers 980 nm autorisant l'utilisation des diodes laser à semi-conducteur (GaInAsP) comme source de pompage optique. Ce niveau se désexcite très rapidement de façon non-radiative par voie multi-phonons vers le niveau 4I13/2. L'écart énergétique entre ce niveau et le niveau fondamental ( 6500 cm-1) interdit toute désexcitation par voie multi-phonon et autorise une émission radiative située dans le proche infra-rouge (1,5µm). Le niveau bas de la transition laser considérée étant le niveau fondamental (voir figure 2-1), il existe une absorption à la longueur d'onde d'émission.
figure 2-1 : Schéma des niveaux énergétiques mis en jeu dans l'obtention d'un effet laser de l'ion erbium vers 1,5 µm (schéma type trois niveaux).
L'efficacité d'un tel laser est liée au rapport des coefficients
d'absorption à la longueur d'onde de pompe et d'émission laser
:
où
et
sont les sections efficaces correspondantes. Ce rapport est fixé pour
une matrice donnée.
Il est possible néanmoins d'augmenter ce rapport en codopant la matrice
avec un autre ion des terres rares ayant une transition résonnante avec celle de
l'erbium, favorisant le transfert énergétique de cet ion vers l'erbium : c'est le cas de
l'ion ytterbium dans une matrice vitreuse (voir figure 2-3).
figure 2-2 : Diagramme énergétique des ions des terres rares.
figure 2-3 : Schéma énergétique des niveaux de l'erbium et de l'ytterbium mis en jeu.
Dans ce cas, l'absorption à 975 nm est proportionnelle au dopage en ytterbium alors que l'absorption à 1,534 µm est proportionnelle au dopage en erbium. Il est donc tout à fait possible d'optimiser le dopage en erbium pour obtenir une émission laser correcte (pertes dues à l'absorption à la longueur d'onde laser faibles) et le dopage en ytterbium pour obtenir une bonne absorption de la pompe.
La durée de vie du niveau haut 2F5/2 de l'ytterbium est d'environ 1 ms [16], le transfert d'énergie s'effectue de l'ytterbium vers l'erbium mais le transfert inverse est peu probable du fait de la très faible durée de vie ( 3 µs [17]) du niveau 4I11/2 de l'erbium. Si l'on néglige l'influence des niveaux supérieurs de l'erbium, la caractérisation spectroscopique du matériau nécessite la mesure de :
Pour avoir accès aux sections efficaces d'absorption nous avons enregistré les spectres d'absorption à l'aide d'un spectromètre à deux voies présentant une résolution de 1 nm. Les spectres obtenus sont ensuite corrigés des pertes de transmission dues aux réflexions sur les faces.
L'absorption est donnée en cm-1 par la relation : où est le coefficient d'absorption, T est la transmission et L
l'épaisseur du matériau en cm.
La section efficace d'absorption en cm2 est donnée par la
relation : où
est le coefficient
d'absorption en cm-1 et n0 en cm-3 la densité d'atomes
par unité de volume.
Dans la bande spectrale s'étendant de 850 à 1050 nm, le rayonnement est absorbé surtout par l'ion ytterbium alors que le rayonnement absorbé en dehors de cette bande l'est par l'ion erbium. La concentration en ions ytterbium est très importante comparée à celle en ions erbium. Il en résulte donc un coefficient d'absorption dans la bande spectrale 850-1050 nm beaucoup plus important que dans le reste du spectre. Nous avons donc utilisé des matériaux d'épaisseur différentes suivant les bandes spectrales analysées.
Pour la caractérisation de 850 nm à 1050 nm, le matériau utilisé est
une pastille de 504 µm d'épaisseur et de 10 mm de diamètre alors que pour les autres
longueurs d'onde il s'agit d'un barreau de 2,67 cm de long et de 10 mm de diamètre.
Les nombreuses raies d'absorption de la figure 2-4 sont
caractéristiques des nombreux niveaux énergétiques de l'erbium (voir figure 2-5). Ces
niveaux, d'énergie supérieure aux transitions considérées pour l'obtention d'une
émission laser vers 1,5 µm, peuvent être préjudiciables à l'efficacité de notre
laser. En effet des phénomènes d'absorption par les états excités pourraient exister
et diminuer notablement l'efficacité de conversion d'un tel laser.
L'absorption de la puissance optique de pompage se fait sur la
transition 2F7/2 =>2F5/2 de l'ion ytterbium
(900 nm <<1000 nm) correspondant aux longueurs d'onde
d'émission accessibles par les diodes laser à base de composé quaternaire (InGaAsP).
figure 2-6 : Coefficient d'absorption de 850 à 1050 nm
Le maximum d'absorption est obtenu à 975 nm avec un coefficient d'absorption de 27,3 cm-1.
La section efficace d'absorption de l'erbium seul dans cette matrice
nous est inconnu. Par contre dans la silice cette valeur est environ 2.10-21 cm2.
On a . Le coefficient d'absorption dû à l'erbium seul est donc
. Le rôle de l'erbium peut être négligé dans le calcul de la
section efficace d'absorption.
On peut donc en déduire la section efficace d'absorption à 975 nm : p = 1,19.10-20 cm2.
On peut remarquer que la largeur à mi-hauteur de cette raie
d'absorption est de 6 nm, c'est à dire supérieure à la largeur du spectre d'émission
typique des diodes laser de puissance émettant dans cette bande (3nm).
Le maximum d'absorption est obtenu à 1533 nm avec un coefficient
d'absorption de 1,178 cm-1. On peut donc en déduire la section efficace
d'absorption à 1533 nm : = 5,89.10-21 cm2.
La largeur à mi-hauteur de cette absorption est de 52 nm, c'est à dire 225,3 cm-1.
figure 2-7 : Coefficient
d'absorption de 1400 à 1650 nm
à partir du coefficient d'absorption, il est possible de calculer la
durée de vie du niveau associée grâce à la relation [18] : .
avec
J = 15/2 : moment du multiplet 4I15/2
J' = 13/2 : moment du multiplet 4I13/2
N : densité d'atomes d'erbium
n : indice du matériau autour de 1500 nm
c : vitesse de la lumière
: longueur d'onde correspondant au maximum
d'absorption
: durée de vie du niveau 4I15/2
On trouve une durée de vie d'environ 10 ms.
Nous nous proposons dans le paragraphe suivant de déterminer par une mesure directe la durée de vie de l'état métastable.
La durée de vie de fluorescence du niveau 4I13/2 de l'erbium est un paramètre important pour la modélisation du fonctionnement du laser. Pour la mesurer nous utilisons une diode laser de puissance émettant à 975 nm et modulée à 10 Hz avec une durée d'impulsion de 40 ms et un temps de descente de quelques microsecondes. Il est important de mesurer cette durée de vie dans des conditions proches de son utilisation en cavité laser. L'échantillon d'une épaisseur de 500 µm est donc placé contre la diode afin d'obtenir une densité de puissance de pompe proche ou supérieure à celle utilisée en cavité laser.
La fluorescence de l'échantillon est collectée par une fibre optique
dont la sortie est collimatée. Le faisceau traverse un filtre semi-conducteur pour couper
le signal de pompe résiduel puis le faisceau est de nouveau focalisé pour arriver sur un
détecteur au germanium fibré de bande passante 10 kHz. Le schéma expérimental est
présenté sur la figure 2-8.
figure 2-8 : Schéma du dispositif expérimental utilisé pour la mesure de la durée de vie.
figure 2-9 : Courbe
expérimentale de décroissance de la fluorescence de l'état métastable
La décroissance du signal émis vers 1,5 µm peut s'écrire sous la
forme : où
désigne la durée de vie
l'état métastable. Pour l'échantillon mesuré la valeur de la durée de vie est donc :
10,2 ms.
Une deuxième série de mesures a été effectuée au Laboratoire de Physico-Chimie des Matériaux Luminescents de l'Université Claude Bernard Lyon I. Le matériau a été excité par une impulsion courte (10 ns) de 1,5 mJ à la longueur d'onde de 1,5 µm.
Deux mesures ont été effectuées. Une où la fluorescence est
recueillie selon un axe perpendiculaire à l'axe du faisceau excitateur, on trouve =7,8 ms. Une autre où la fluorescence est recueillie dans l'axe du
faisceau excitateur, on trouve
=8,5 ms.
La différence de durée de vie de fluorescence selon que l'on excite le
matériau à 975 nm ou à 1,5 µm peut être due à l'absence d'absorption de l'état
excité quand le matériau est pompé à 1,5 µm alors que celle-ci est présente lorsque
le matériau est pompé à 975 nm. Il semble donc possible de négliger les effets des
niveaux supérieurs pour ce type de matériau.
Le spectre de fluorescence autour de 1,5 µm (voir figure 2-10) est mesuré à l'aide d'une configuration expérimentale similaire à celle de la figure 2-8 où le détecteur au germanium et le filtre ont été remplacés par un analyseur de spectre de résolution 1 nm.
figure 2-10 : Spectre de fluorescence autour de 1,5 µm.
Le maximum de fluorescence est situé à 1532 nm et la largeur à mi
hauteur est de 25,2 nm ( 106,5 cm-1).
On peut avoir une idée des pertes introduites par les phénomènes d'absorption des états excités en mesurant simultanément la fluorescence émise autour de 1,5 µm et celle émise autour de 0,515 µm.
Un photon de pompe est absorbé (voir figure 2-11) par la transition (4I15/2 4I11/2) puis un autre photon de pompe est absorbé par la transition (4I11/2 4F7/2) et ceci avant que le niveau 4I11/2 ne se soit désexcité vers le niveau 4I13/2. Puis le niveau 4F7/2 se désexcite de manière non-radiative vers le niveau 2H11/2 qui lui-même se désexcite vers le niveau fondamental en émettant un photon à 515 nm. Du fait de la durée de vie relativement faible du niveau 4I11/2 (3 µs), ce schéma est peu probable et l'émission d'un photon à 515 nm est très peu efficace.
Le spectre analysé autour de 0,515 µm (voir figure 2-12) a les mêmes unités en échelle verticale que celui émis autour de 1,5 µm (voir figure 2-10). On peut donc comparer le nombre de photons émis sur chacune des deux bandes :
.
Le spectre de l'émission autour de 515 nm est présenté figure 2-12.
figure 2-12 : Fluorescence verte en pompage à 980 nm
Cette valeur étant difficilement mesurable directement, nous avons
choisi de la calculer soit à partir du spectre d'absorption, soit à partir du spectre de
fluorescence.
A partir du spectre de fluorescence obtenu (figure 2-10), on peut
remonter à la section efficace d'émission par la relation de
Fuchtbauer-Ladenburg qui relie l'émission stimulée à la probabilité d'émission
spontanée [19]
:
où
est la
longueur d'onde, n l'indice du matériau, c la vitesse de la lumière dans le vide,
l'intensité de fluorescence en fonction de
et
la durée de vie de fluorescence.
Les résultats de ces équations pour différentes valeurs de durée de vie de l'état métastable sont présentés sur la figure 2-13
A partir du spectre d'absorption obtenu (figure 2-7), il est possible de
calculer de manière différente la section efficace d'émission
grâce au principe de réciprocité [20] :
où :
est la fréquence optique,
est la section efficace d'absorption,
est la section efficace d'émission,
est l'énergie d'excitation thermique,
k est la constante de Boltzmann,
T est la température absolue.
En fait, on a : où Ni est la
population du niveau i à l'équilibre thermodynamique, N1 représentant le
niveau fondamental et N2 le niveau haut de la transition laser.
Dans une matrice amorphe, l'insertion d'un ion dopant ne relève pas d'un processus de substitution comme dans une matrice cristalline mais d'un processus " d'incorporation ". Le dopant n'a pas de " place " privilégiée au sein de la matrice hôte. Il subit donc un champ électrostatique différent d'un ion à l'autre. On peut donc considérer que dans une matrice amorphe comme le verre, la dégénérescence est totalement levée sur les niveaux concernés. Le niveau 4I15/2 est composé de 8 sous-niveaux alors que le niveau 4I13/2 est composé de 7 sous-niveaux, on en déduit :
où E0 est l'écart énergétique entre les minima des deux bandes et Eij est la différence en énergie entre le sous-niveau j et le sous-niveau le plus bas de la bande i.
Dans un matériau comme le verre où l'élargissement est inhomogène, il est très difficile de connaître exactement l'emplacement des différents sous niveaux. Pour palier à ce problème, il est possible de faire deux hypothèses:
E0 = 6525,8 cm-1,
= 106,5 cm-1,
= 225,3 cm-1.
Les spectres correspondant à ces différentes évaluations sont
présentés figure 2-13. Les maxima de section efficace d'émission ainsi que les
longueurs d'onde à laquelle ils sont obtenus pour les différentes méthodes sont
présentés dans le tableau 2-1.
Relation de Fuchtbauer-Ladenburg |
Relation de réciprocité |
||||
|
|
|
1 |
2 |
|
Longueur d'onde au maximum de la section efficace d'émission (nm) |
|
|
|
|
|
Maximum de section efficace d'émission |
|
|
|
|
|
tableau 2-1 : Récapitulatif
des trois méthodes de calcul de
La différence de longueur d'onde au maximum de la section efficace d'émission selon la relation utilisée peut provenir d'une différence de calibration en longueur d'onde puisque le spectre d'absorption et le spectre de fluorescence n'ont pas été mesurés sur le même appareil.
Les deux relations donnent le même ordre de grandeur pour la section efficace d'émission Ces résultats nous semblent cohérents compte tenu des approximations faites dans les deux méthodes et des imprécisions de mesure sur les spectres d'absorption et d'émission.
figure 2-13 : Section efficace d'émission de 1450 à 1700 nm évaluée par les deux méthodes
Il subsiste un paramètre lié au matériau qui n'a pas pu être mesuré :
Les mesures de fluorescence dans le vert et de différence de durée de vie apparente du niveau 4I13/2 selon la longueur d'onde de la source de pompage (voir paragraphe 2.5 page 1) permettent de négliger les effets des niveaux supérieurs de l'erbium pour l'application qui nous intéresse.
Le tableau 2-2 présente un récapitulatif des paramètres
spectroscopiques moyens mesurés. La section efficace d'émission à la longueur d'onde
laser présente dans ce tableau est une moyenne des valeurs obtenues par les différentes
méthodes. La durée de vie du niveau métastable est une moyenne des différentes mesures
effectuées.
Section efficace d'absorption à la longueur d'onde de pompe |
Section efficace d'absorption à la longueur d'onde laser |
Section efficace d'émission à la longueur d'onde laser |
Durée de vie du niveau métastable |
|
Longueur d'onde correspondant au maximum |
|
|
|
|
Valeur maximale moyenne |
1,19.10-20 cm2 |
5,89.10-21 cm2 |
6,7.10-21 cm2 |
8,8 ms |
tableau 2-2 : Récapitulatif des valeurs mesurées.
Ces différents paramètres seront utilisés pour prévoir le
fonctionnement du laser à partir du modèle mathématique que nous allons développer au
chapitre suivant.