Introduction générale

Leur grande efficacité et leur directivité font des lasers des sources optiques extrêmement dangereuses. Les dangers présentés par l'utilisation des faisceaux laser sont liés aux atteintes oculaires et cutanées. L'oeil est plus sensible que la peau, car le système d'autofocalisation augmente notablement la densité d'énergie ou de puissance délivrée par le faisceau laser. L'oeil humain est constitué d'un diaphragme (iris) permettant de limiter la fraction de lumière entrant dans l'oeil, d'une lentille (cristallin) permettant de former une image nette de quelques centaines de microns carrés sur la surface sensible de l'oeil (rétine) (voir figure 1-1). La rétine est composée de deux parties : la majeure partie de la surface rétinienne très sensible aux différences de luminance permet la vision de nuit et la vision périphérique et la fovéa sensible à la chromaticité permet la vision directive.

Les différentes parties de l'oeil ayant des compositions chimiques différentes, ont un spectre d'absorption différent (voir figure 1-2). L'oeil est le récepteur privilégié des rayonnements optiques visibles, il est donc normal qu'il soit l'organe cible des rayonnements laser et le plus sensible à leurs effets. Les seuils de dommage les plus faibles concernent les rayonnements de longueur d'onde comprise entre 400 et 1400 nm, susceptibles de traverser les milieux oculaires et d'être focalisé sur la rétine (voir figure 1-3). Le diamètre de l'image formée sur la rétine par un faisceau parallèle est d'environ 10 µm alors que le diamètre d'une pupille dilatée atteint aisément 7 mm. En conséquence l'éclairement énergétique au niveau de la rétine peut être 500 000 fois supérieur à celui mesuré au niveau de la cornée. Une impulsion de quelques microjoules ou le faisceau d'un laser HeNe à émission continue de 1 mW suffisent à provoquer une lésion rétinienne.

La bande spectrale où le seuil de dommage de l'oeil est le plus élevé et les risques encourus sont les moins importants est un compromis entre les spectres d'absorption des différentes parties de l'œil. Les absorptions de ces différentes parties sont présentées figure 1-2. Cette bande spectrale est comprise entre 1,5 et 1,55 µm. Cela correspond à une absorption nulle du cristallin, de 80 % pour la cornée et de 25 % pour l'humeur aqueuse. Le premier milieu oculaire traversé par un faisceau est la cornée (voir figure 1-1), l'absorption n'étant pas maximale (inférieure à 100%) elle est répartie sur toute son épaisseur. Si l'absorption était de 100% ( 2 µm ou > 2,5 µm) la longueur d'absorption serait plus faible et donc l'énergie déposée par unité de volume serait plus importante conduisant ainsi à un dommage subi plus important. La puissance transmise à l'humeur aqueuse est donc faible et son absorption de 25 % a peu d'influence. La cornée présente une résistance aux rayonnements équivalente à celle de la peau, de plus elle a un pouvoir régénératif très important et dans le cas de dégradations extrêmes il est possible d'effectuer une greffe. Pour les faisceaux dont la longueur d'onde est supérieure à 1,55 µm soit l'humeur aqueuse absorbe plus que la cornée soit l'absorption de la cornée est trop importante ( 100 %). Une brûlure de la rétine peut entraîner une perte partielle ou totale de la vision de manière temporaire ou définitive. Une lésion du cristallin entraîne une cataracte.

Les lasers pouvant fonctionner en propagation libre sans danger pour les utilisateurs doivent donc émettre dans la bande spectrale de sécurité oculaire (1,5-1,55 µm).

figure 1-1 : Coupe de l'oeil.

Ces lasers sont dits à sécurité oculaire. Cette bande spectrale présente d'autres avantages car elle est aussi utilisée dans les télécommunications par fibres optiques puisqu'elle correspond au minimum d'absorption de la silice et c'est une fenêtre de transmission de l'atmosphère.

Un laser compact émettant à cette longueur d'onde qu'il soit continu, monomode ou déclenché peut avoir des applications telles que la télémétrie, la détection d'obstacles, la vélocimétrie...

Les lasers dont le matériau actif est une matrice dopée avec des ions de la famille des terres rares présentent des caractéristiques très intéressantes. En effet, les propriétés spectroscopiques des ions des terres-rares permettent d'obtenir une puissance importante à des longueurs d'onde pour l'instant difficilement accessibles par les diodes laser. En outre, le doublage de fréquence intra-cavité ou tout autre procédé non-linéaire de conversion de fréquence permettent encore d'étendre le domaine spectral accessible aux lasers solides dopés aux terres rares. De plus, les diodes laser de puissance sont des sources particulièrement adaptées au pompage des lasers solides dopés aux ions des terres rares. En effet, leur domaine spectral d'émission relativement étroit (quelques nanomètres) est compatible avec les bandes d'absorption des terres rares dans la plupart des matrices solides (quelques nanomètres). Leurs faisceaux directifs une fois remis en forme permettent d'obtenir un bon recouvrement spatial entre le mode de pompe et le mode de la cavité laser. Ces caractéristiques complétées par leur compacité et leur excellent rendement de conversion (rendement électrique/optique 45% [1]) permettent d'obtenir des sources compactes, efficaces et de conception relativement aisée. Comparé au pompage par lampes, on obtient donc un meilleur transfert de l'énergie de pompage vers l'énergie émise. Le rendement électrique/optique global est donc largement amélioré.

Déjà dans les années 60, des démonstrations relatives à l'emploi de la luminescence émise par des composés semi-conducteurs en vue d'exciter des ions des terres rares dans des matrices solides étaient publiées [2,3]. L'émergence de techniques nouvelles de croissance des matériaux semi-conducteurs depuis une quinzaine d'années a permis l'obtention de diodes laser à la fois fiables, puissantes et fonctionnant à température ambiante. De nombreuses réalisations expérimentales sur des matrices cristallines dopées avec du néodyme, pompées par des diodes laser, ont confirmé les performances attendues [4].

Enfin, l'émission des lasers solides peut être rendue très cohérente et la durée de vie des niveaux excités (quelques centaines de µs à quelques dizaines de ms), très supérieure à la durée de vie (quelques ns à quelques dizaines de ns) des électrons dans la bande de conduction des matériaux semi-conducteurs, permet un stockage efficace de l'énergie de pompage et l'obtention de puissances crêtes élevées en régime impulsionnel [5]. Il serait donc très avantageux de réaliser un tel laser émettant dans la zone spectrale de sécurité oculaire.

figure 1-2 : Absorption spectrale des différents milieux oculaires pris séparément chez l'homme [6].

figure 1-3 : Transmission de tous les milieux oculaires précédant la rétine chez l'homme et absorption au niveau de l'épithélium pigmentaire rétinien et de la choroïde dans le spectre visible et le proche infra-rouge [7]

L'émission de l'erbium vers 1,5 µm avait été démontrée dans les années 60 mais du fait de son système trois niveaux et de l'utilisation de lampes pour réaliser le pompage, ce laser ne fonctionnait qu'à basse température [8]. Mais la mise en évidence du transfert d'énergie de l'ion ytterbium vers l'ion erbium, la réalisation de matrices codopées [9], ainsi que l'émergence des diodes laser de puissance à base de composé quaternaire (InGaAsP) émettant vers 980 nm pouvant ainsi permettre le fonctionnement du laser à température ambiante, ont relancé l'intérêt de la communauté scientifique dans l'étude de ce genre de lasers. En effet, ces dernières années, quelques résultats ont été publiés relatifs à la réalisation de lasers à verre codopé erbium et ytterbium pompés longitudinalement par une diode laser de puissance émettant vers 980 nm [10], pompés transversalement par une barrette de diodes laser [11] ou pompés longitudinalement par un laser à YAG dopé néodyme émettant à 1064 nm [12]. Mais l'émergence récente des diodes laser émettant vers 980 nm et la confidentialité liée à certains travaux sur ce type de lasers expliquent le peu de résultats publiés sur ce sujet.

La réalisation d'un tel laser répondrait donc aux caractéristiques de sécurité oculaire, de compacité et de rendement de conversion élevé.

Le présent mémoire est donc consacré à l'étude et l'élaboration d'un laser compact à sécurité oculaire pompé par diodes laser de puissance dont la partie active est une matrice dopée avec des ions erbium

Nous nous consacrerons donc dans une première partie à définir la matrice la mieux adaptée à la réalisation de ce laser et à mesurer les grandeurs caractéristiques de celle-ci.

Puis dans une deuxième partie nous développerons un modèle mathématique du fonctionnement de ce laser de manière à pouvoir prédire son comportement en mode continu ou déclenché.

La troisième partie sera consacrée à la résolution numérique de ce modèle ainsi qu'à l'étude du comportement dynamique du laser.

Une quatrième partie regroupera tous les résultats expérimentaux liés à la réalisation de ce laser quelle que soit la source de pompage (laser à saphir dopé au titane, diode laser fibrée et source multi-laser) et quel que soit le mode de fonctionnement (continu ou déclenché par commutation des pertes).

Puis dans une cinquième partie nous nous attacherons à valider notre modèle mathématique du laser en comparant les résultats de celui-ci avec les résultats expérimentaux aussi bien dans un fonctionnement continu que déclenché.

A partir de notre modèle et des paramètres du matériau nous présenterons dans une sixième partie le calcul de l'optimisation des dopages en ions actifs de manière à réaliser avec ce matériau une cavité laser monolithique et monofréquence.

Un laser monolithique et déclenché par commutation des pertes grâce à un absorbant saturable peut avoir des applications intéressantes (télémétrie). Mais à l'heure actuelle les absorbants saturables potentiels sont mal identifiés. Nous nous attacherons donc dans une septième partie à recenser quelques matériaux utilisés ou potentiellement utilisables pour ces applications.

Nous présenterons une application réalisée ainsi que des applications envisagés pour ce laser dans une huitième partie et enfin nous conclurons sur cette étude dans une dernière partie.


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